Deux semaines de juin ( 1940 ), pour penser l’engagement en 2023
Comme elle le fait de loin en loin, La Cohorte est allée prendre le pouls d’une rencontre entre victimes de conflits armés et jeunes désireux de s’engager au service d’autrui et de leur pays. Ils avaient comme point de départ la projection du film réalisé par un ancien chasseur-alpin, lui- même blessé en Opex et désireux de saluer la résistance exemplaire de l’armée des Alpes, creuset de celle qui allait suivre, mais qui en juin 1940, contrastait durement avec l’effondrement survenu ailleurs. Une rencontre organisée par le Cercle sportif de l’Institution nationale des Invalides et parrainée par la SMLH de Savoie.
Ce n’était pas une tempête mais de la neige tombée drue ce mercredi matin du mois de mars pour se rendre à la salle communale de l’Albaron, sur la commune de Bessans, au cœur de la Maurienne, en Savoie. Pas de quoi décourager la vingtaine de touristes venue assister à la projection du film du réalisateur Jocelyn Truchet, Deux semaines de juin, ni la vingtaine d’élèves qui préparent un CAP agent de sécurité au lycée Sainte Anne à la Motte-Servolex, tout près de Chambéry. Tous étaient là pour assister à la diffusion du court-métrage en présence du réalisateur mais aussi de la productrice Séverine Melchiorre.
Sur place étaient bien évidemment présents une dizaine de pensionnaires des Invalides, en semaine d’oxygénation à Bessans organisée par le Cercle sportif de l’Institution nationale des Invalides.
Tenir, malgré les questionnements
Le film se déroule en juin 1940, sur le front italien. Les soldats et gradés de l’armée française sont d’abord filmés au fort du Télégraphe, dans la vallée de la Maurienne, sur la route du col du Galibier, à 1 620 mètres d’altitude, entre Valloire et Saint-Michel- de-Maurienne. Alors que les batailles font rage dans le nord de la France, les militaires rongent leur frein sur le front alpin pour protéger le territoire français en cas d’attaque. Puis le 10 juin, l’Italie déclare la guerre à la France et l’Angleterre. S’ensuit une bataille entre Français et Italiens à plus de 2 000 mètres d'altitude, parfois même au delà du 25 juin, date de l’Armistice.
Jocelyn Truchet s’est surtout intéressé à l’état d’esprit de ces soldats français, qui tiendront face à des Italiens pourtant large- ment supérieurs en nombre, malgré les effondrements successifs du front ailleurs... Si ce film porte surtout sur la réflexion et le cheminement des soldats de juin 1940, c’est que le réalisateur s’est posé les mêmes questions lorsqu’il était engagé au sein du 13e bataillon de chasseur alpin. « Je suis un ancien militaire, reconverti au monde du cinéma après une blessure en Afghanistan. Je sais ce que c’est que d’attendre une ba- taille, d’avoir peur qu’elle vienne et en même temps, d’avoir envie de passer à l’action par sens du devoir et de la mission, même si, parfois, on se demande vraiment pourquoi on est là...»
Tirer ou ne pas tirer ?
Les questionnements émis par les personnages ont donné lieu à de nombreux échanges à l’issue de la projection. D’autant que l’un des personnages du film est un jeune militaire franco-italien qui n’a qu’une peur, devoir tirer sur ses cousins transalpins. Corentin, l’un des élèves du lycée Sainte Anne, du haut de ses 15 ans, croit avoir la réponse : « si c’est pour protéger mon pays, et surtout ma famille je tirerai sans hésiter. Le plus important dans une guerre c’est ceux qui sont derrière nous et pas devant nous. Il faut protéger les futures générations et surtout nos familles. »
Maude qui a le même âge, se veut plus nuancée, « je veux intégrer la police nationale, si je dois arrêter un membre de ma famille parce qu’il n’a pas respecté la loi, ça ne me pose pas de problème. La justice prévaut sur la famille. Mais, si une guerre éclate et que mes cousins sont en face, je ne pense pas que je pourrai leur tirer dessus. »
Quant à Mathilde, « tirer sur ses proches est inimaginable », pourtant elle sait bien qu’en devenant gendarme, elle devra porter une arme et qui sait, peut-être un jour s'en servir, elle préfère ne pas y penser.
Blessures visibles et invisibles
Des réflexions, des interrogations qui vont droit au cœur de Jocelyn Truchet, car s’il a réalisé ce court-métrage, c’est certes pour mettre en lumière les acteurs d’une victoire française éclipsée par L’Étrange défaite de mai-juin 1940, mais aussi pour que les jeunes générations s’interrogent sur le sens du mot engagement. «C’est notamment pour cela que les scènes de combat sont très édulcorées par rapport à la réalité. » Lui s’est beaucoup interrogé et notamment après avoir été blessé lors d’une opération en Afghanistan. Depuis, malgré la perte d’une jambe, il s’est reconverti dans le ciné- ma où il vit les conflits à travers la fiction en étant expert auprès des réalisateurs.
La guerre, les batailles, si elles interrogent les notions d’engagement pour son pays, sa famille, questionnent aussi sur la prise de risque. À ce propos et à l’issue de cette projection, la vingtaine d’élèves cette classe dite « défense » a pu rencontrer d’actuels pensionnaires des Invalides, victimes et acteurs de conflits armés. Lucette Cholet par exemple, a raconté son expérience : victime d’un bombardement enfant pendant l’exode de 1940, elle n’a jamais pu marcher normalement et a passé toute sa vie en fauteuil roulant. Mais pas question de s’apitoyer sur son sort et d’arrêter de bouger : à 89 ans, elle vient quotidiennement faire du rameur au Cercle sportif de l’Institution nationale des Invalides...
REPORTAGE : ANNE MIGNARD
Xavier Dupont, directeur du Cercle sportif de l'Institution nationale des Invalides (CSINI) et les jeunes de la classe « défense » du lycée Sainte Anne à la Motte-Servolex.
Jocelyn Truchet, réalisateur de Deux semaines de juin, Séverine Melchiorre, sa productrice, Gérard Lanfrey, président du comité de Maurienne et Bernard Ratel, président de la section de Savoie, le magazine de la SMLH d’octobre 2022, consacré aux sections de Rhône-Alpes.
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